L’obsolescence de l’homme – Günther Anders

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« La honte qui s’empare de l’homme devant l’humiliante qualité des choses qu’il a lui-même fabriquées. »
« Qui suis-je désormais, se demande le Prométhée d’aujourd’hui, bouffon de son propre parc de machines. Qui suis-je désormais ? « 

  1. Sommes-nous de taille à nous mesurer à la perfection de nos produits technologiques ?
  2. Notre capacité de représentation du monde et par là notre responsabilité, peut-elle se mesurer à nos productions techniques ? 
  3. Avons-nous encore la liberté de penser le réel face à la représentation du monde suggérée par l’ingénierie sociale appuyée sur la communication ?

« l’a-synchronicité chaque jour croissante entre l’homme et le monde qu’il a produit, l’écart chaque jour plus grand qui les sépare, nous l’appelons le décalage prométhéen » page 31)

Gunther Anders (1902 – 1992) pose en 1956 une question : notre âme progresse-t-elle au rythme des modifications des conditions matérielles environnantes ? 
Et en 2024, je ne puis m’empêcher de penser que la disparition de l’idée, du mot même, est une inquiétante réponse à cette interrogation métaphysique.

Contenu

Le livre présente plusieurs essais. L’introduction (page 15 – 36) et La honte prométhéenne me semblent les plus puissants (p 117 – 242) et adressant directement le monde d’aujourd’hui : l’organisation des apparences par la communication de masse, le fantôme de monde « livré à domicile ». la reconstruction industrielle de la nature et de la nature humaine. Ensuite le propos sur l’énergie nucléaire est plus daté – nous avions peur de la bombe A à l’époque !

Si la lecture est parfois ardue, nous emportant plus ou moins facilement de digressions et répétitions, les éclairs de génie sont si saisissants que l’on finit par trouver normal de les voir adaptés à notre monde techno-marchand dopé à l’IA.

Lisez ces 200 pages et retrouvez vos interrogations faces à ces logiciels qui en demandent toujours plus aux utilisateurs, esclaves de la machine et du chiffre. 

Extraits

« Nous ne souscrivons pas pour autant à la thèse courante, habituellement considérée comme allant de soi, selon laquelle l’ensemble des cadences humaines devrait se régler sur celle du changement dans la production. Nous ne contestons pas en revanche le fait que les produits font tout pour uniformiser les rythmes des hommes. Nous ne contestons pas non plus le fait que les hommes cherchent fiévreusement à satisfaire cette exigence. La question est précisément de savoir s’ils y parviennent, et même tout simplement s‘il est légitime qu’ils s’y efforcent. Car il serait tout à fait concevable que la transformation des instruments soit trop rapide, bien trop rapide ; que les produits nous demandent quelque chose d’excessif, quelque chose d’impossible ; et que nous nous enfoncions vraiment, à cause de leurs exigences, dans un état de pathologie collective. Ou bien, dit autrement, du point de vue des producteurs : il n’est pas complètement impossible que nous, qui fabriquons ces produits, soyons sur le point de construire un monde au pas duquel nous serions incapables de marcher et qu’il serait absolument au-dessus de nos forces de comprendre, un monde qui excéderait absolument notre force de compréhension, la capacité de notre imagination et de nos émotions, tout comme notre responsabilité. Qui sait peut-être avons-nous déjà construit ce monde-là ? (page 32)

De la honte prométhéenne, symptôme de la réification de l’homme

« La honte qui s’empare de l’homme devant l’humiliante qualité des choses qu’il a lui-même fabriquées. » (page 37)

« Qui suis-je désormais, se demande le Prométhée d’aujourd’hui, bouffon de son propre parc de machines. Qui suis-je désormais ? (page 40)

Bureaucratie et applications logicielles

« Plus la bureaucratie des instruments interdépendants est importante et compliquée, plus les efforts de l’homme pour se maintenir leur hauteur se révèlent infructueux. On est ainsi endroit d’affirmer que sa misère a pour conséquence une accumulation d’instruments et que celle-ci, à son tour, a pour conséquence une accumulation de misère. Heureuse époque que celle où l’hydre de Lerne n’était qu’un monstre de légende. (Page 52)

Positionnement idéologique

Par ailleurs ne nous laissons pas impressionner par la tentative de récupération de cette œuvre par les situationnistes, les révolutionnaires anti-capitalistes et anti-industriels, les idéologues et même les wokistes et autres verts-pastèques. Ce philosophe contrarié, journaliste philosophe sans réelles attaches, propose quelques concepts puissants dépassant son siècle et les petits esprits.

Emprunté à la Bibliothèque municipale de Versailles.

Paru en 1956 sous le titre original « Die Antiquiertheit des menschen, über die Seele im Zeitalter der zweiten industriellen Revolution » chez C.H Beck Verlag à Munich

Édition IVREA, Paris 2001 pour la traduction de l’allemand par Christophe David (Édition de l’encyclopédie des nuisances)

Lectori salutem, Pikkendorff

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